Encore…

Cette lettre est aussi parue dans le numéro du 30 novembre 2022 du journal Le Voyageur.

Encore…

Encore une fois, ma communauté souffre.

Combien de vies devront être écourtées, de gallons de sang versé, de cœurs émiettés avant qu’on ne prenne au sérieux ce qui se passe dans notre société? Quand allez-vous vous réveiller à ce qui se passe autour de vous?

Si vous payez la moindre attention au monde qui vous entoure, vous auriez vu ça venir. La rhétorique fasciste n’existe pas dans un vide ; elle entraîne des répercussions réelles, tangibles et humaines. Ils menacent des hôpitaux pour enfants. Ils prennent des villes entières en otage. Ils attaquent nos endroits sacrés. Ils s’attaquent à nos droits et à nos familles. Ils nous assassinent pour avoir commis le crime ultime, celui d’oser exister. Plus question même de rester dans nos espaces privés ; c’est déjà un pas de trop vers l’écroulement sociétal.

 

Autant qu’on veuille bien se donner l’image d’un pays tolérant, paradis des marginalisés, il y a en masse de gens au Canada qui se contenteraient qu’un acte pareil se passe chez nous. Les organismes de service à la communauté partout au pays reçoivent des menaces depuis des années. Des partis politiques ont intégré l’homophobie et la transphobie dans leurs plateformes.

En ce moment, des voix s’élèvent pour célébrer la tuerie de Colorado Springs, pour justifier l’assassinat de Raymond Green Vance, Kelly Loving, Daniel Aston, Derrick Rump et Ashley Paugh. Pour elles, les cinq vies qui ont été arrachées à leurs familles et ami.es ne méritent pas de pitié parce que les militants dans ma communauté vont trop loin pour leur goût. Il semblerait que c’est notre faute qu’on s’attaque à nous.

Les bouches écumantes, qui ne rêvent que du génocide des personnes queers, nous avertissent que cette attaque ne serait pas la dernière. Notre agenda maléfique doit être détruit à tout prix. Ils doivent protéger les enfants de nous, prédateurs et pédophiles monstrueux que nous sommes, qui ne voulons rien de plus que les recruter et les assimiler parmi nos rangs pour faire pleurer leurs parents conservateurs.

 

Nous avons beau passer notre temps à essayer de contredire les mensonges, la désinformation, la haine qui est dite à notre égard, mais ça ne change rien. Les faits ne veulent plus rien dire quand ça vient à ma communauté. Il y a des gens qui sont juste primés pour nous détester, des gens tristes, fâchés, frustrés qui se cherchent une cible pour expliquer pourquoi la vie va mal.

Mais, très franchement, je m’en contre câlisse de leurs raisons, de leurs circonstances, des excuses qu’ils peuvent trouver. Je suis tanné de perdre mon temps à essayer de convaincre ces personnes de notre humanité. Je suis tanné que chaque jour nous réserve un autre barrage de conspirations à réfuter. Je suis tanné que ce soit à nous d’apaiser ou de ménager ces bombes à retardement ambulantes, d’être doux et pleins de compassion. Mon empathie puis mon désir de m’en tenir au high road prennent rapidement le bord quand on se met à régurgiter de la bullshit fasciste et génocidaire à mon égard.

 

Je suis tanné de vivre dans la peur, me sentir tellement à la merci de vous, la majorité.

Je suis tanné que ma vie dépende tellement de votre soutien, de mon espoir que quand vient le temps de se prononcer aux urnes vous n’allez pas nous donner à manger aux loups.

Je suis tanné que le bien-être de ma communauté dépende d’une majorité qui se dit tolérante, mais qui trop souvent nous infantilise et qui trouve qu’on s’excite le poil de jambes pour rien. Cette même majorité qui menace, du jour au lendemain, surtout si elle est remise en question, de retirer son appui, comme si leur défense de notre humanité dépend de leur confort. Je suis tanné de ménager vos attentes de ce qu’une personne queer devrait être, comment elle devrait agir, comment elle devrait revendiquer son existence. Il y a toujours des bémols à votre statut autodéclaré d’allié et je suis tanné d’être obligé à me retenir pour ne pas vous froisser.

 

Vous n’entendez peut-être pas ces appels à la destruction d’une communauté entière, mais ils sont bel et bien là. Nous n’avons pas le luxe de faire comme si ça ne se passait pas ; le risque que je me fasse abattre pendant un défilé de la Fierté ou un samedi soir au Zigs, alors que je célèbre la vie avec ma famille choisie, n’est pas zéro.

Je ne sais pas si vous savez ce que c’est vivre avec un poids pareil, suspendu au-dessus de la tête, invisible à la majorité qui tient pourtant les ciseaux. Disons que je pourrais bien m’en passer.

 

Je suis tanné de devoir vous demander de l’aide, de vous supplier de prendre tout ça au sérieux, mais nous voici. Je vais le faire, encore, parce que nous ne pouvons pas faire ça seul et nous ne prévoyons pas reculer.

Écoutez-nous quand nous vous demandons de nous croire

Écoutez-nous quand on vous dit que nous avons peur.

Écoutez-nous quand nous vous indiquons clairement le problème.

Écoutez-nous avant qu’il ne soit trop tard.

Encore…

Previous
Previous

In Defence of Drag

Next
Next

À notre tour de semer le chaos